Traduction de l’article de Pam Laricchia « Learning to Read without lessons »
Traduit de l’anglais par Béatrice Mantovani
La semaine dernière, j’ai exploré certaines des différences fondamentales entre le unschooling et l’école. Mais même si cela paraît intéressant et assez logique, il peut être difficile de lâcher complètement l’idée que les compétences de base doivent quand même être enseignées: « Une fois que mon enfant saura lire et écrire, je me sentirais suffisamment à l’aise pour le laisser explorer ses centres d’intérêts librement. »
Il est vrai que la lecture et l’écriture sont des compétences qu’il est utile de développer – ce sont les deux côtés de la médaille de la communication écrite. Pourtant, précisément à cause de cela, les enfants qui évoluent librement dans le monde les côtoieront fréquemment. Ils rencontreront des raisons réelles de les apprendre, ce qui est à la fois plus motivant que de s’entendre dire par un parent ou un enseignant que c’est « quelque chose qu’on doit faire » , et plus efficace pour l’apprentissage réel, car au fur et à mesure qu’ils apprennent, ils utiliseront activement leurs nouvelles compétences pour atteindre leurs propres objectifs .
Ce type de processus d’apprentissage diffère de l’apprentissage axé sur les leçons en deux points majeurs. Tout d’abord, il n’y a pas de calendrier ou d’emploi du temps externe. Et en second lieu, la définition des compétences est plus large, tout comme le monde est plus vaste que la salle de classe.
Cette semaine, nous allons aborder le sujet de la lecture.
À l’école, les enseignants ont besoin que les élèves apprennent à lire le plus tôt possible, car c’est un moyen efficace pour communiquer avec une salle remplie d’élèves. Le système éducatif est conçu autour de la communication écrite: les enseignants utilisent des livres de cours et des cahiers d’exercices pour partager l’information avec les élèves, et se basent sur des examens écrits pour évaluer les progrès. Il n’est donc pas étonnant que les enfants qui savent lire tôt y sont plus valorisés. C’est d’autant plus difficile pour les jeunes enfants, parce qu’ils n’ont pas encore vraiment besoin de lire au-delà de l’école: leur passion est le jeu actif. Malheureusement, les enfants qui n’apprennent pas à lire selon le calendrier de l’école sont triés et étiquetés et jugés inférieurs.
Avec le unschooling, la lecture précoce n’est pas nécessaire parce que nous avons le temps de communiquer avec nos enfants en nous servant d’outils qu’ils maîtrisent déjà. Nous pouvons parler avec eux, nous pouvons interpréter le langage du corps et des émotions, nous n’avons pas besoin de nous appuyer sur la lecture. Notre communication est riche.
À l’école, le processus d’apprentissage de la lecture est réduit à réciter l’alphabet, remplir des feuilles d’exercices de phonétique et pratiquer la prononciation. On décerne le label «lecteur» aux enfants quand ils savent déchiffrer un livre de lecture. Mais ce n’est que le début: ils doivent rester à la hauteur. Ils se sentent poussés à continuer à se développer au même rythme que le programme, ou ils risquent de perdre leur badge d’honneur.
Avec le unschooling, les enfants sont entourés par l’environnement lettré du monde réel. Ils voient la valeur réelle de la lecture: le dialogue et les instructions dans leurs jeux vidéo, les pancartes dans les magasins pour trouver leur nourriture préférée, les statistiques sur leurs cartes de jeu, des sites web sur les choses qu’ils aiment, des livres et des magazines remplis d’informations et de récits intéressants. Pourtant, cette valeur n’est pas tenue au dessus de leurs têtes comme une motivation perverse à apprendre plus vite: « essaye de lire tout seul ! » Les parents unschoolers sont heureux de lire pour leurs enfants jusqu’à ce qu’ils soient prêts à le faire eux-mêmes. Et apprendre est plus facile, et plus efficace, sans cette pression extérieure. Voici une observation intéressante que j’ai faite au fil des ans: les enfants qui font du unschooling sont plus susceptibles de se dire « lecteurs » une fois qu’ils sont capables de lire aisément un livre de niveau adulte. C’est ce à quoi ressemble la lecture dans le monde réel.
Comme je l’ai mentionné précédemment, le système éducatif est conçu autour de la communication écrite, donc être en mesure de lire est primordial pour réussir dans cet environnement. Ne pas être capable de lire met les élèves en situation désavantageuse dans *toutes les matières*. Mais sans cette contrainte, les unschoolers absorbent des informations tout aussi efficacement de nombreuses autres façons! Vous pouvez les trouver en train de regarder des vidéos (des documentaires, des chaînes spécialisées, des vidéos amateurs, … ), de découvrir et d’explorer par eux-même (dans des centres de sciences, musées, zoos, …) ou de jouer avec à peu près n’importe quoi (des ordinateurs, des logiciels de conception de jeux vidéo, des instruments de musique, des appareils photo, dehors en train d’explorer, …) En fait, pour beaucoup de gens, la lecture n’est ni le moyen préféré, ni la façon la plus efficace, d’apprendre de nouvelles choses. A l’école, l’apprentissage est compromis pour les enfants qui apprennent à lire tard, mais ce n’est pas le cas avec le unschooling.
La logique est la même pour la fiction: en dehors de la salle de classe, il y a plusieurs façons de découvrir des histoires, au-delà de la lecture. Le monde est plein de récits racontés par différents moyens: séries télé, films, bandes dessinées, jeux de société, jeux vidéo, pièces de théâtre, conteurs, livres audio. Je me souviens avec émotion des nombreuses heures agréables passées à lire à haute voix à mes enfants. L’accès aux histoires ne dépend pas de la capacité de lire.
Les âges auxquels les enfants sont capable de rassembler les nombreuses pièces du puzzle de la lecture varient énormément. Essayer de rajouter des leçons à ce processus implique non seulement que l’apprentissage doit se faire selon le calendrier de quelqu’un d’autre, mais que l’intérêt de l’enfant et ses questions et connexions personnelles ne sont en quelque sorte pas dans le « bon » ordre pour rassembler les morceaux du puzzle de l’apprentissage de la lecture.
Mais n’en déduisez pas que ne pas donner de leçons signifie que les parents unschoolers ne font rien. Au contraire, nous sommes très impliqués dans le processus. Simplement, au lieu de suivre un programme prédéterminé qui est censé emmené l’élève à la lecture, nous participons activement à la vie avec nos enfants. Les mots sont partout. Nous leur faisons la lecture, nous répondons à leurs questions sur les mots – avec des réponses directes, et non des mini-leçons improvisées. Peut-être qu’ils aiment les jeux de mots, ou mettre les sous-titres quand ils regardent des films, ou écouter un livre audio en suivant avec le livre. Pour chaque personne, les connexions dans le cerveau se font différemment, donc les choses qui stimulent ces connexions seront différentes. S’ils ne lisent pas, c’est probablement parce que leur cerveau n’est pas encore prêt pour cela. La culpabilité et la pression n’aideront pas leur cerveau à établir ces liens et à se développer plus rapidement. Ce qui aidera, c’est d’explorer le monde à travers leurs propres yeux.
J’ai écrit un article pour le magazine Life Learning, en 2004, sur le cheminement de ma fille vers la lecture. Voici le lien, si ça vous intéresse: « Je sais lire, tu sais »
En dehors de la salle de classe, il y a tellement de façons de découvrir et d’apprendre sur le monde sans passer par la lecture. Et en plus de ça, les enfants qui apprennent à lire plus tard ne se sentent pas défectueux – ils apprendront à lire selon leur propre calendrier, et ajouteront cette façon-là de découvrir des histoires et de recueillir des informations à leur répertoire déjà abondant.
Merci pour cette traduction de ce super article 🙂
Ce que je me demande c’est si je serrai un bon accompagnateur pour apprendre a lire à mes enfants.
Les enfants peuvent-ils prendre de mauvais reflex de lecture si ils n’utilisent pas les méthodes classiques ? si ils apprennent beaucoup par eux même… ?
Bonjour Simon, merci pour votre commentaire. D’après tous les témoignages que j’ai lu d’unschoolers anglophones (et même des quelques unschoolers francophones que je connais), les enfants n’ont pas besoin qu’on leur apprenne à lire. Ils n’ont pas besoin d’utiliser des méthodes classiques (même si certains demandent à le faire.) Les enfants apprennent à lire tous seuls, quand ils sont prêts, et pour cela il suffit que les adultes (ou les enfants lecteurs) autour d’eux répondent à leurs questions (et biensûr qu’il y aie des livres dans la maison, et je suis sûre que ça ne fait pas de mal de leur faire la lecture régulièrement.)
Si vous voulez en lire plus sur le sujet, il est abordé dans plusieurs livres:
http://www.editions-instant-present.com/blog/index.php/tous-nos-livres/les-apprentissages-autonomes/ (Il y a un passage dans le livre où l’auteur décrit comment les enfants apprennent à lire dans une école « libre »)
http://www.editions-instant-present.com/souscription-lapprentissage-informel-en-famille-p-52.html (Ce livre doit sortir en mai 2013 en version française, mais je l’ai lu en anglais. Les auteurs ont menés des recherches auprès de parents unschooleurs, et ils décrivent ce qu’ils ont observé. Il y a un chapitre sur la lecture.)
http://www.amazon.fr/suis-jamais-all%C3%A9-l%C3%A9cole/dp/233000012X (L’auteur décrit son enfance sans école, et il y a un passage ou il décrit son cheminement vers la lecture.)
ouhaou ! merci Bea pour cette réponse !
J’avais des lacune lorsque j’étais petit pour la lecture, c’est pourquoi je me demandais si l’enfant pouvais mal apprendre par lui même. Je vais compulser vos liens.
Bonjour,
Merci pour cet article passionnant !
J’aimerais vous poser une question : mon fils qui va avoir 3 ans est très, très intéressé par la lecture. Il « lit » des histoires à ses peluches, les étiquettes de produits, demande sans cesse « qu’est-ce qui est écrit là ? », etc.
Est-ce que nous devrions l’encourager dans ce sens, en lui proposant des activités tout particulièrement en lien avec la lecture ?
J’avoue que je crains de l’écoeurer, parce que ça me semble être tôt pour apprendre à lire.
Non ?
Merci d’avance pour vos conseils.
Nina